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Gjert Ingebrigtsen, Ted Beckham, Mike Agassi… Entre ambition et abus, le piège du rôle de « parent-entraîneur »

Le père et ancien entraîneur du double champion olympique d’athlétisme Jakob Ingebrigtsen, Gjert Ingebrigtsen, accusé de violences parentales sur son fils a été relaxé par la justice norvégienne, lundi, mais a été condamné à quinze jours de prison avec sursis pour des faits de violences sur sa fille Ingrid.

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France Télévisions – Rédaction Sport


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Temps de lecture : 6min

Gjert Ingebrigtsen, père et ancien entraîneur de Jakob Ingebrigtsen, le 22 mai 2024, lors d'une compétition d'athlétisme à Oslo. (PAUL S. AMUNDSEN / AFP)

Gjert Ingebrigtsen, père et ancien entraîneur de Jakob Ingebrigtsen, le 22 mai 2024, lors d’une compétition d’athlétisme à Oslo. (PAUL S. AMUNDSEN / AFP)

Un homme « très agressif et autoritaire ». C’est avec ces mots que trois des frères Ingebrigtsen – Henrik, Philipp et Jakob – multimédaillés mondiaux en demi-fond, ont décrit leur père et ex-entraîneur jusqu’au Jeux de Tokyo, dans une tribune publiée en 2023. Deux ans plus tard, l’homme de 59 ans – jugé pour « violences intrafamiliales » – a été relaxé lundi 16 juin, par la justice norvégienne. Il a en revanche été condamné à quinze jours de prison avec sursis pour des faits de violence sur sa fille Ingrid (18 ans), ancienne promesse de l’athlétisme norvégien, qui a quitté la maison familiale à l’âge de 15 ans.

« Ils n’ont pas dit qu’ils étaient déçus. Ils ont dit qu’ils ont été surpris », a déclaré Mette Yvonne Larsen en évoquant la réaction de Jakob et Ingrid, alors que le parquet avait requis deux ans et demi de prison contre le père de famille, mi-mai. Si ce dernier a toujours rejeté les accusations de violences physiques et psychologiques relatées par ses deux enfants sur une période allant de 2008 à 2022, l’histoire du sport a parfois été marquée par le comportement abusif de parents-entraîneurs.

De Jim Pierce, père de la tenniswoman Mary Pierce, à Ted Beckham, père du célèbre footballeur David Beckham, les cas sont multiples. « Cumuler le rôle de parent et d’entraîneur est vraiment compliqué », analyse Philippe Salas, psychologue spécialiste du risque et de la performance auprès des sportifs de haut niveau. « Quand on est parent sans être entraîneur, ce n’est pas toujours simple d’écouter la voix de son enfant. Alors l’écouter quand, soi-même, on a un intérêt à ce que l’enfant fasse telle ou telle chose, c’est vraiment compliqué », poursuit-il.

Malgré tout, il apparaît souvent naturel pour un parent d’entraîner son enfant, surtout quand il a été sportif lui-même et « qu’il n’est pas heureux de sa propre carrière« , observe Philippe Salas. Ancien boxeur ayant participé aux JO en 1948 puis 1952, Mike Agassi a, ainsi, été jusqu’à inventer une machine lance balles pour faire de son fils, Andre, l’un des meilleurs tennismen de l’histoire. « Mon père me dit que si je frappe 2 500 balles par jour, cela veut dire que j’en frapperai 17 500 chaque semaine et donc près d’un million en une année. Et un enfant qui frappe un million de balles en une année deviendra imbattable », racontait Andre Agassi dans son autobiographie, Open, publiée en 2009.

Un récit qui rappelle aussi celui de la Suisse Timea Bacsinszky. « Parce que mon père était mon coach quand j’étais enfant, je n’avais pas le choix de jouer ou pas », avouait la double demi-finaliste de Roland Garros au New York Times, en 2015. « Il voulait vivre son rêve à travers moi et, malheureusement pour moi, j’étais vraiment bonne. Mais je pense que si je jouais bien, c’est parce que je savais que si je perdais, ça provoquerait des drames à la maison entre mes parents ».

Dans les familles où un des parents est aussi l’entraîneur, s’installe souvent une forme de « complicité toxique », explique Philippe Salas. « Par amour, l’enfant fait quelque chose dont il n’a pas vraiment envie parce que ça fait plaisir au parent et qu’il cherche à avoir son amour », développe le psychologue. Il paraît alors moins surprenant qu’Andre Agassi ait révélé détester jouer au tennis, malgré son immense carrière.

Si les performances sportives peuvent être au rendez-vous, la relation peut, ainsi, être dysfonctionnelle et avoir des conséquences sur la santé mentale de l’enfant. « Beaucoup sont déprimés, dépressifs parce qu’en plus de gérer leur vie, ils doivent soutenir le projet du parent, sans avoir la possibilité de s’y opposer », analyse le psychologue. Marquée par son enfance qu’elle compare à un « enfer » et « qu’elle ne souhaite à personne », Timea Bacsinszky reconnaît, elle, avoir suivi une thérapie pour aller mieux.

À terme, les conséquences sont multiples, de l’arrêt de la pratique sportive de l’enfant à la prise de distance avec le parent-entraîneur tyrannique. Un choix qu’a également opéré l’ex-numéro 9 mondiale, bien que celui qu’elle appelle « son géniteur » ait formulé des excuses publiques dans la presse helvète en 2015. « Je n’ai jamais voulu te faire du mal, mais j’ai peut-être été plus un coach qu’un père, se défend-il. Malheureusement, je n’ai pas trouvé l’équilibre entre la rigueur d’une éducation sportive et la flexibilité et la tendresse du rôle de père. La relation d’un papa à sa fille ne devrait jamais se confondre avec celle d’un coach et sa joueuse ».

Même si elle n’est pas propre au tennis, la problématique des parents-entraîneurs abusifs concerne particulièrement « les sports individuels, notamment de face-à-face », souligne Philippe Salas. Dans ces disciplines, les parents peuvent plus facilement s’impliquer dans l’encadrement sportif de leur enfant, que dans les sports collectifs où les clubs ou coéquipiers font souvent tampons. Il suffit malgré tout de passer quelques minutes sur les stades amateurs pour voir des parents se muer en entraîneur. Un double rôle bien souvent périlleux à endosser.



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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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