Les Internationaux de France de tennis ont un siècle, trois ans de plus que Roland-Garros
Avec RetroNews, le site de presse de la BnF, retour sur une histoire de sport telle que l’a racontée la presse de l’époque.
Quel âge ont les Internationaux de France de tennis ? 100 ans pile-poil. Un centenaire complètement passé à l’as (à l’ace). Pas la trace d’une commémoration à l’occasion de cette édition. La Fédération française de tennis aurait-elle trouvé le vaccin contre la commémorativite aiguë, particulièrement virulente dans la sphère sportive et généralement incurable quand il s’agit de fêter un siècle ? Quel est le péché originel de cette édition 1925 ? Peut-être celui de ne pas s’être déroulé au stade Roland-Garros. Et pour cause, il n’était pas encore construit et n’accueille les Internationaux de France que depuis 1928. Gageons que ce centenaire-là sera célébré dignement.
Alors, où s’échangent les premières balles des Internationaux de France ? Pas très loin de Roland-Garros, à Saint-Cloud, de l’autre côté de la Seine. La Fédération française de lawn-tennis (comme on disait à l’époque) existe depuis cinq ans, mais ce n’est pas elle qui organise l’événement. «Demain mercredi, débuteront les Championnats internationaux de tennis sur terre battue, organisés par le Racing Club de France et le Stade Français, raconte le Journal du 27 mai. Les différentes épreuves se dérouleront sur le terrain du Stade, dans le Parc de Saint-Cloud. Ce tournoi, qui constitue le championnat du monde de tennis, s’annonce comme devant remporter un gros succès.»
Au commencement était le championnat de France international de tennis, né en 1891, joué sur gazon (le fameux lawn). Une compétition qui n’a d’international que le nom, puisque seuls les joueurs français ou licenciés en France peuvent y participer. Ce qui permet l’essor d’une compétition concurrente, les championnats du monde sur terre battue, disputés entre 1912 et 1923 et organisés cette fois par l’International Lawn Tennis Federation. En 1924, les JO de Paris éclipsent l’événement. En 1925, le championnat de France desserre enfin son corset. «Pour la première fois ils sont ouverts aux étrangers, souligne le Journal. Aussi cette belle compétition internationale a-t-elle réuni pour sa première édition un lot magnifique de champions.» Les Internationaux de France sont nés.
Le Racing Club de France et le Stade français, les clubs en charge de l’organisation, n’ont pas joué petit bras. Le Rappel du 27 mai se montre admiratif : «Cette grande manifestation qui constitue l’un des plus gros événements sportifs de la saison s’annonce comme devant remporter un énorme succès. D’un commun accord les deux grands clubs ont décidé, dans le but d’éviter de refuser des places et dans le but d’assurer plus de confort aux milliers de spectateurs qui suivent avec tant d’assiduité cette belle joute sportive, de faire monter sur le terrain de la Faisanderie d’énormes et confortables tribunes qui pourront contenir tous ceux qui se passionnent au si beau sport du lawn-tennis.»
Le 4 mai, la Liberté racontait déjà les efforts des deux clubs organisateurs. «Au point de vue organisation, nous serons certainement gâtés, parce que les dirigeants du stade et du Racing ont estimé que les anciennes tribunes de Saint-Cloud avaient vécu. On les a donc transformées en bois à brûler, on a déporté le grand court central à seule fin d’agrandir la place destinée aux tribunes et, dans une quinzaine de jours, s’élèveront sur cet emplacement quatre immenses tribunes, merveilleusement décorées, qui pourront contenir plus de 5 000 spectateurs.» Lesquels pourront découvrir les premiers internationaux des Internationaux. «Les organisateurs se sont assuré la participation des équipes officielles formées par les Fédérations respectives des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, d’Australie, de Belgique, d’Italie, d’Espagne, de Hongrie, de Suisse et de Roumanie, poursuit le quotidien. Voilà donc une belle manifestation qui constitue l’un des plus gros événements sportifs de la saison. Bientôt, nous aurons l’occasion de parler des concurrents, car on voit poindre à l’horizon les champions fameux qui se sont illustrés pendant les Jeux olympiques.»
L’Avenir du 26 mai met des noms sur ces «fameux champions» : «Un grand nombre de raquettes les plus réputées sont inscrites, parmi lesquelles les Français Lacoste, Borotra ; le Belge Wesher ; les Indous (sic) Fysée, Jacob ; les Anglais Spence, Croie, Rees, Eames. La catégorie des dames a réuni un grand nombre de célébrités, parmi lesquelles Mlle Suzanne Lenglen et Miss Mac Kane, etc.»
Les courts de la Faisanderie accueilleront pas moins de 14 matchs le premier jour. Si l’organisation est privée, les pouvoirs publics ne snobent pas l’événement. L’Avenir rappelle «qu’un service d’autocars organisé par la Compagnie des transports en commun de la région parisienne partira tous les jours à partir de 13 heures de la place de la République en passant par l’Opéra, Madeleine, Etoile, porte de Saint-Cloud.»
Le tournoi ravit un public de connaisseurs souligne l’Echo de Paris du 1er juin 1925. «Ce fut hier, à Saint-Cloud, la foule des grands jours, et une foule enthousiaste, sportive, documentée, car composée en majorité de pratiquants actuels ou anciens de ce joli jeu. Noté la présence d’innombrables Britanniques et de pas mal de Sud-Américains», s’enthousiasme le journal, qui met en majesté un trio de joueuses, la Française Suzanne Lenglen, la Britannique Kathleen Mac Kane et l’Américaine Helen Wills.
On retrouve Suzanne Lenglen, surnommée «la Divine», première star internationale du tennis féminin, en photo dans Paris Soir du 8 juin 1925. Elle voisine avec René Lacoste. Les deux ont gagné le tournoi en simple et en double. Lenglen complète son triomphe avec le titre en double mixte.
Grand chelem des tricolores à domicile à l’occasion des premiers Internationaux de France, la France de Bordeaux et du Sud-Ouest du 13 juin en reste tout ébaubie. «Vainement, on chercherait à atténuer ce que ce résultat a de glorieux pour nous-mêmes. En tenant compte du fait que quelques très bons joueurs de différents pays s’abstinrent de prendre part au tournoi de Saint-Cloud, on doit tenir pour certain qu’il prouva la supériorité de la France au moins au point de vue européen. […] Seulement, la présence des grands “as” américains et australiens eut pu faire que le palmarès du tournoi ait été différent de celui que l’on a vu. Encore, cela n’est-il pas tout à fait certain, cocoricote le journal. Nous possédons en Lacoste un champion de la grande classe internationale et qui, somme toute, paraît très capable de détrôner, quelque jour à son profit, ce demi-dieu du tennis qu’est W. T. Tilden (1). […] On ne saurait passer sous silence la magnifique rentrée faite par Mlle Suzanne Lenglen. Je ne sais plus très exactement de quelle personnalité historique on disait qu’à côté d’elle les autres principes paraissaient peuple, mais ce que je sais fort bien, c’est qu’on peut dire quelque chose de semblable en parlant de notre Suzanne nationale.»
Et Roland Garros dans tout ça ? L’histoire ne nous dit pas si l’aviateur a jamais touché une raquette de tennis, il était plutôt rugby ou foot. En tous les cas pas en compétition, qu’elle soit nationale ou internationale. Sa traversée de la Méditerranée en 1913 lui a apporté la célébrité – Jean Cocteau lui dédiera même un poème. A sa mort, le 5 octobre 1918, la veille de ses 30 ans, un peu plus d’un mois avant l’armistice, c’est le héros de guerre que l’on pleure. Engagé dès le début de la Première Guerre mondiale, il révolutionne le combat aérien en mettant au point le tir à la mitrailleuse à travers l’hélice. Le 18 avril 1915, touché par la DCA de l’adversaire, il est contraint de se poser derrière les lignes ennemies, les Allemands le capturent. Le 15 février 1918, il réussit à s’évader. Pas un mince exploit.
De retour en France, Clemenceau veut faire de lui un conseiller aviation auprès de l’Etat-major, mais Roland Garros veut repartir au combat. Il cache sa myopie, de terreur qu’on lui interdise de reprendre le manche. Lors de ses permissions, l’aviateur fantastique, pilote de guerre héroïque, redevient pianiste classique. Roland Garros croise Isadora Duncan. L’immense danseuse américaine racontera dans son autobiographie avoir dansé pour lui place de la Concorde, un soir d’alerte aérienne. «Peu après, l’Ange des Héros l’a saisi et l’a transporté ailleurs», pleure la danseuse. Roland Garros perd son dernier combat aérien.
En 1927, nous sommes neuf ans après la mort de l’homme «qui avait asservi l’espace à sa volonté implacable», écrivait alors le Petit Journal. Les Mousquetaires du tennis français (René Lacoste, Jacques Brugnon, Jean Borotra, Henri Cochet, soit les quatre hommes présents deux ans plus tôt sur les courts de la Faisanderie en finale du double des premiers Internationaux de France) réussissent l’incroyable exploit d’arracher la Coupe Davis aux Américains vainqueurs des sept dernières éditions chez eux. Pour la revanche, un an plus tard, il faut une enceinte digne de l’événement. Elle s’érigera dans l’Ouest parisien sur un terrain concédé au Stade français et au Racing, au terme d’un deal douteux avec l’Etat dénonce la presse. Peu importe. Les responsables du Stade français, dont Roland Garros fut membre, exigent que le stade porte le nom de leur héros. C’est ainsi que les Internationaux de France devinrent Roland-Garros.
Auteur : Gilles Dhers
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