Les luttes de pouvoir sont à la mode sur la scène sportive mondiale
Le monde de la course automobile a applaudi bien fort, jeudi, lorsqu’un haut gradé de la FIA a remis sa démission pour officiellement déclarer la guerre au président Mohammed Ben Sulayem, qui est en train d’instaurer un régime autoritaire sur la scène internationale et plus particulièrement dans l’univers de la F1.
Dans cette chronique publiée à la fin de janvier, je racontais à quel point Ben Sulayem, un ex-pilote de rallye originaire des Émirats arabes unis, était en train de se faire une légion de féroces ennemis dans le Championnat du monde de F1.
Au cours des deux dernières années, de nombreux conflits, allégations d’ingérence et congédiements d’employés clés ont fait la manchette. Et ils ont été suivis durant l’hiver par l’adoption, en catimini, de règles visant à instaurer un régime de censure sans précédent, dans un sport qui s’est toujours démarqué par la grande liberté de parole dont jouissent ses principaux acteurs.
À titre d’exemple, ces nouvelles règles rendent les pilotes et dirigeants d’écuries passibles d’amendes astronomiques en cas de partage de commentaires politiques, religieux ou personnels, à moins qu’ils aient été approuvés au préalable par la FIA. Pour éviter des suspensions, ceux qui formuleraient des commentaires déplaisants devraient par ailleurs présenter des excuses publiques et se rétracter.
À la fin de février, Mohammed Ben Sulayem a poussé le bouchon encore plus loin. À l’occasion d’une réunion du Conseil mondial de l’automobile, le vice-président de la FIA, Robert Reid, et le représentant du Royaume-Uni, David Richards (ex-patron de Jacques Villeneuve à BAR en F1), se sont fait refuser l’accès à la réunion parce qu’ils ne voulaient pas signer une entente de non-divulgation extrêmement punitive avant de pénétrer dans la salle.
David Richards a expliqué que ladite entente visait notamment à punir le moindre partage d’information, et que la FIA s’y attribuait le droit de déterminer arbitrairement qui se rendrait coupable de fuite médiatique ou de partage d’information! En d’autres mots, Ben Sulayem cherchait à se débarrasser de tout contestataire ou présumé contestataire.
Jeudi, le vice-président Robert Reid a donc remis sa démission en se disant troublé par les sérieux problèmes de gouvernance
qui minent la crédibilité de la FIA et par le virage autocratique que l’organisme chargé de régir la F1, ainsi que les championnats mondiaux de moto et de rallye, est en train de prendre.
Quand je me suis engagé auprès de la FIA, c’était pour en servir les membres, pas pour servir le pouvoir. Au fil du temps, j’ai assisté à une constante érosion des principes que nous avions promis de défendre
, a expliqué Reid dans un communiqué.
Le président de l’Association des pilotes de grand prix, George Russell, a réagi à cette démission en déclarant que la FIA est désormais une organisation instable qui ne tient plus compte des opinions des pilotes et qui a été secouée au cours de la dernière année par les départs d’une quantité importante d’employés clés.
Les élections à la présidence de la FIA sont prévues à la fin de l’année. Et à cause de la structure de la fédération, les experts prédisent que Ben Sulayem sera difficile à déloger.
Peu importe leur importance sur l’échiquier du sport automobile international, les quelque 150 associations nationales membres de la FIA détiennent chacune un seul vote. Ce genre d’environnement fait en sorte, un peu comme c’est le cas à la FIFA, qu’il est facilement possible de distribuer des faveurs à des délégations figurantes pour se maintenir au pouvoir ou pour influencer des votes importants.
Sur la scène du golf, Donald Trump avait promis de régler en quelques heures le confit qui oppose la PGA au Fonds d’investissement public saoudien. Mais il a obtenu le même résultat qu’avec sa promesse de régler en quelques jours la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine.
Il y a une dizaine de jours, le quotidien britannique The Guardian révélait qu’après deux ans d’insuccès, les négociations entre la PGA et le circuit saoudien LIV Golf sont probablement rompues pour longtemps.
L’Arabie saoudite est venue chambouler le monde du golf.
Photo : usa today sports via reuters con / Raymond Carlin III
Donald Trump est proche des Saoudiens. Le circuit LIV Golf présente d’ailleurs des tournois sur des terrains appartenant au président américain. À la mi-mars, il a organisé deux rencontres à la Maison-Blanche pour tenter de provoquer un accord, mais son initiative s’est soldée par un échec.
The Guardian, qui a mis la main sur les dernières correspondances entre les parties, a révélé que le fonds d’investissement saoudien se disait prêt à injecter 1,5 milliard dans la nouvelle filiale à but lucratif de la PGA. En échange de cette somme, le fonds saoudien réclamait que son gouverneur, Yasir Al-Rumayyan, devienne coprésident de la nouvelle filiale.
Cette offre a toutefois été rejetée parce qu’en plus de s’immiscer dans les affaires de la PGA, le fonds saoudien affirmait son intention de poursuivre les activités de son circuit rival, LIV Golf.
Tiger Woods et ses collègues, dont l’objectif consiste à réunifier le monde du golf et à réunir à nouveau les meilleurs joueurs du monde dans un même championnat, ont donc rejeté cette offre du revers de la main.
Cela fait en sorte que pour encore bien longtemps, comme on le constate à l’occasion du Tournoi des maîtres, les tournois majeurs s’avéreront pour les amateurs les seules occasions de voir toutes les vedettes du golf sur les mêmes terrains.
À ces luttes de pouvoir s’ajoute la poursuite intentée il y a une vingtaine de jours par l’Association des joueurs de tennis professionnel (AJTP) contre l’ATP, la WTA, la Fédération internationale de tennis (FIT), l’Agence internationale pour l’intégrité du tennis (ITIA) et les organisateurs des quatre tournois du grand chelem.
S’appuyant sur les lois anti-monopole américaine, européenne et britannique, l’AJTP dénonce l’existence d’un cartel
qui freine considérablement la rémunération des joueurs et joueuses et qui, de surcroît, empêche la naissance de toute forme de concurrence dans l’organisation de tournois.

Novak Djokovic est engagé dans l’action de l’Association des joueurs de tennis professionnels.
Photo : Getty Images / PATRICK HAMILTON
Des milliards sont en jeu et l’AJTP tente d’établir un rapport de force pour parvenir à négocier collectivement le partage des revenus de l’industrie dont ils sont le moteur, exactement comme le font les athlètes des grands championnats nord-américains.
Au bout du compte, ces points de rupture atteints presque simultanément dans les univers de la F1, du golf et du tennis ont tous des origines semblables. Ils sont le résultat de tentatives de reconfiguration des pouvoirs politiques et économiques sur la scène internationale.
Quand on regarde ce qui est en train de se passer sur la scène politique internationale, il est difficile de ne pas être d’accord avec le vieil adage voulant que le sport soit le reflet de ce qui se passe ailleurs dans la société.
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