Roland-Garros 2025 : Loïs Boisson, du rêve au revers
Il a fallu se frotter plusieurs fois les yeux en découvrant la fiche statistique envoyée aux journalistes par la WTA jeudi 5 juin. Dans le dernier carré de ce Roland-Garros, il y avait donc d’un côté trois des cinq meilleures joueuses du monde, toutes déjà titrées en Grand Chelem, qui cumulent plus de 1 100 matchs joués sur le circuit principal, plus de 20 participations aux Majeurs chacune et près de 100 millions de dollars de gains en carrière. Et de l’autre, Loïs Boisson, 361e mondiale, un seul match joué sur le circuit principal avant Roland-Garros et 148 009 dollars sur son compte en banque. Une fourmi face à trois éléphants.
Avant sa demi-finale, comme à chaque match depuis le début du tournoi, Roland-Garros avait publié sur son site un sondage pour savoir qui de la Française ou de l’Américaine Coco Gauff, les fans voyaient s’imposer jeudi après-midi. Sur 56 000 votants, 81 % imaginaient la tricolore l’emporter. La magie de Loïs Boisson se résume ainsi : elle réussit par sa confiance à toute épreuve à faire germer dans la tête des fans l’idée que l’impossible était possible. Qu’une joueuse si mal classée qu’elle n’aurait même pas dû pouvoir participer aux qualifications du Grand Chelem (elle a été invitée dans le tableau principal par la Fédération française de tennis) puisse battre la deuxième meilleure joueuse du monde, sans que plus personne ne trouve plus cela étrange. La réalité du terrain a été bien plus brutale : la Française a été balayée en mondiovision (6-1 ; 6-2) et ne verra la finale qu’en tribunes ou à la télévision.
Vers 18 heures jeudi, une fois le match à rallonge entre Iga Swiatek et Aryna Sabalenka terminé, on a vu d’entrée les 359 places qui séparaient Boisson et Gauff au classement. Première à se présenter au service, la Française a démarré sur un faux rythme, comme si son lance-roquette de bras droit et ses jambes étaient restés aux vestiaires. Dans le même temps, Coco Gauff faisait tout l’inverse de la veille, quand elle s’était imposée en quart de finale dans un match brouillon face à sa compatriote Madison Keys, à plus de 100 fautes directes cumulées : l’Américaine a mis la balle dans le court, dépoussiéré les lignes et passé ses services. Résultat : six jeux à un après trente-cinq minutes et un court Philippe-Chatrier, déjà tiède au début du match, transformé en réfrigérateur.
Dans la deuxième manche, Loïs Boisson n’a retrouvé que par moments éphémères sa fulgurance qui lui avait permis de renverser coup sur coup les numéros 3 et 6 mondiales. C’était bien trop peu face à une adversaire qui, pour la première fois depuis le début de la quinzaine, n’a ni été perturbée par ses lifts tourbillonnants en coup droit ni par ses revers slicés à répétition et encore moins par le public. Coco Gauff avait expliqué la veille, en conférence de presse, ses deux manières de gérer une audience hostile : «Prétendre que c’est toi qu’ils soutiennent et ne pas les laisser te miner.» Elle l’a merveilleusement bien fait. Le conte de fées a pris fin en moins d’une heure dix et Boisson a fini la tête sous sa serviette, les yeux rougis, en se frappant le crâne. Quand on a volé si près des étoiles, la retombée sur terre est violente.
Dans quelques jours, quand elle aura digéré sa défaite, la Dijonnaise se consolera en se disant qu’elle, celle dont personne ou presque ne connaissait le nom il y a dix jours, a fait vibrer la France entière comme aucun tricolore à Roland-Garros depuis une décennie au moins. Elle découvrira en ouvrant ses réseaux sociaux, dont elle se tient éloignée Porte d’Auteuil, sa nouvelle popularité. Depuis quarante-huit heures, des unes des quotidiens généralistes aux ouvertures des journaux radio ou télévisés, tout le monde n’avait d’yeux que pour elle.
Loïs Boisson devra se faire à son nouveau statut de 65e joueuse mondiale (à partir de lundi) et première Française au classement WTA. Celle qui n’avait connu jusqu’ici que le circuit secondaire entrera désormais directement dans les tournois du Grand Chelem et pourra, pour quelques mois au moins, arpenter les tournois sans avoir à se soucier de son compte en banque désormais bien rempli (sa demi-finale lui a rapporté 690 000 euros). Elle devra aussi gérer les sponsors, les sollicitations médiatiques, les fans qui la reconnaissent dans la rue, la pression et les attentes.
Il y a quelques jours, Pauline Parmentier disait à Libé ne pas être inquiète pour l’après. La coach de l’équipe de France féminine imagine Loïs Boisson «exploser par la suite», d’autant plus qu’elle a «une marge de progression énorme». Sans aucune expérience des grands tournois, avec un revers encore fragile et son jeu au filet largement perfectible, la Française a joué au cours de deux semaines les yeux dans les yeux avec les plus grandes du circuit. Qui sait ce qu’elle sera capable de faire dans quelques mois ou quelques années, une fois ses défauts gommés ? «Mon rêve n’est pas d’atteindre la demi-finale, mais de remporter le Grand Chelem», disait-elle encore jeudi. Rendez-vous dans un an.
Mis à jour avec le compte rendu de notre journaliste à Roland-Garros.
Auteur : Julien Lecot
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