Roland-Garros | Un gagnant, deux champions
On voulait un match d’anthologie. On souhaitait une finale longuement disputée. On avait mis la table pour un affrontement aussi fort en intensité qu’en qualité. Grâce à Carlos Alcaraz et à Jannik Sinner, on a eu droit à tout ça, dimanche, en finale du tournoi de Roland-Garros.
Il est presque irrespectueux pour les deux gladiateurs de résumer et d’analyser leur gigantesque confrontation en quelque 1000 mots. Alcaraz a défendu son titre en cinq manches de 4-6, 6-7, 6-4, 7-6 et 7-6. Mais ce n’est pas tout, comme dirait Élyse Marquis au milieu d’un défi d’entrées froides aux Chefs !
Cette finale de 5 heures et 29 minutes a été la plus longue de l’histoire du tournoi, disputé depuis 134 ans. Elle a été la première à nécessiter un bris d’égalité en cinquième manche. C’est aussi la huitième fois seulement qu’un joueur tirant de l’arrière par deux manches revient pour triompher à la Porte d’Auteuil. Et Alcaraz a réalisé l’exploit pour la première fois de sa carrière, tous tournois confondus.

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Carlos Alcaraz et Jannik Sinner se serrent la main après leur finale épique.
Le retour d’un grand
« La victoire appartient aux plus opiniâtres », est-il inscrit dans les hauteurs du court Philippe-Chatrier, orange sur gris. Cette citation immanquable dans le stade principal décrit à merveille la manière dont Alcaraz s’est comporté pour mériter ce cinquième titre majeur.
Opiniâtre est synonyme de têtu, tenace. Ce qu’a été le jeune Espagnol de 22 ans. En quatrième manche, Sinner menait 5-3 avec deux manches en poche. Tout près de la vérité, il bénéficiait de trois balles de championnat. Alcaraz avait perdu les trois premiers points du jeu au service. Le meilleur joueur au classement mondial pouvait clore le débat avec un seul coup de raquette.
Non seulement Alcaraz a forcé l’égalité, mais il a arraché le jeu grâce à un as et un coup droit perçant en parallèle. Il a ensuite brisé le service de Sinner pour créer l’égalité 5-5. C’est là que le vent a tourné. À partir de cet instant, Alcaraz s’est mis à réussir les coups qu’il ratait en début de rencontre.
Il y a eu de tout au cours de cette finale de la part des deux assaillants : 137 fautes directes, 123 coups gagnants, 78 montées au filet, 46 passings et 29 balles de bris, entre autres choses.
Au cours des deux premières manches, Sinner n’a fait qu’une bouchée d’Alcaraz, qui l’avait battu quelques semaines auparavant en finale à Rome.

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Jannik Sinner n’a fait qu’une bouchée de Carlos Alcaraz dans les deux premières manches.
Fidèle à ses habitudes, Sinner a été régulier, précis et calme. L’Italien de 23 ans n’a pas changé son modus operandi. Ce qu’il a toujours fait et ce qui l’a mené au sommet du classement fonctionnaient dans la première moitié du match.
Sinner ne bénéficie pas de la dégaine, de la créativité et de la touche d’Alcaraz. Comme un boa constricteur qui étouffe ses proies lentement pour les faire souffrir avant de les tuer, le grand frisé épuise ses adversaires jusqu’à l’abandon de tous leurs repères pour triompher.
Des retours de service envoyés dans les pieds, un placement de balles toujours adéquat et des variations de droite à gauche depuis le fond du terrain. Jamais dépassé, toujours impliqué, Sinner a usé de patience pour contrer Alcaraz, incapable de s’adapter. En première manche, l’Espagnol a bousillé six de ses sept balles de bris. Avec un succès de 68 % sur ses premières balles en jeu, Sinner a toujours fini par trouver une réponse.
Puis, il y a eu ce fameux point en quatrième manche. Déjà, en fin de deuxième manche, on sentait Alcaraz plus en vie et Sinner épuisé.
La proie est parvenue à se défaire de son prédateur. Carlos Alcaraz est revenu de l’arrière en redevenant lui-même.
Habituellement, sur le circuit, plus la pression augmente, plus les balles tombent près du centre. Or, avec Alcaraz, c’est tout le contraire. Sans compromis, chaque frappe se transformait en arme létale. Comme dans le bris d’égalité de la quatrième manche. Après avoir perdu les deux premiers points, l’Espagnol a gagné sept des huit suivants. Il visait les lignes. Il y avait une intention et un appui sur chaque balle. Quitte à perdre, Alcaraz allait le faire à sa manière, en ayant tout donné.

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Carlos Alcaraz a tout donné pour remporter les trois dernières manches.
Parce que même si Sinner se battait en étant coincé dans les câbles, il n’a jamais voulu mettre un genou au sol. En cinquième manche, Alcaraz le bombardait d’amortis, de coups à effet et de services sortants. L’Italien répliquait sans grimacer – 80 % de points gagnés en première balle, 34 % en retour de premier service et seulement 11 fautes directes, son plus bas total du match.
Et les guerriers ont eu besoin du bris d’égalité, en toute fin de cinquième manche, pour défendre leur honneur. Le soleil se couchait sur Paris. Les spectateurs venus assister à ce duel épique ont sorti leur laine pour ne pas attraper froid. Les deux gladiateurs, exténués, se sont débarrassés de leur épée pour terminer cette épopée à mains nues, pour que le plus fort l’emporte le plus noblement possible.
Alcaraz a pris les sept premiers points de ce super bris d’égalité, assommant Sinner à trois reprises en lui volant son service. Avant de capituler, l’Italien a défendu deux points. Puis l’Espagnol, devant les dignitaires de son pays, maman, papa et son entraîneur Juan Carlos Ferrero, a assommé son vis-à-vis en remportant les trois points manquants, le dernier grâce à un coup droit en parallèle long de ligne, comme il l’a fait si souvent au cours de la rencontre.
Le meilleur
Le résultat réjouit l’un et déplaît à l’autre. C’est la grande tragédie de ce noble sport. Sinner a été épatant, fumant et sensationnel. Alcaraz l’a été un petit peu plus. Cette finale a sa place parmi les grands matchs de l’histoire. C’est de l’ordre de la finale de 2008, à Wimbledon, entre Rafael Nadal et Roger Federer. Que ce soit dans la qualité du jeu ou encore dans la manière de voir s’affronter deux grands champions.

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Carlos Alcaraz s’est laissé tomber sur la terre battue après sa victoire.
Sinner était en quête d’un quatrième titre du Grand Chelem et d’un deuxième de suite après celui acquis en Australie plus tôt cette année. Alcaraz, lui, en ajoute un cinquième à sa collection en défendant son titre remporté l’an passé sur cette même terre battue.
Il y a mille manières d’aborder la question, mais même si Carlos Alcaraz restera coincé au deuxième rang du classement mondial derrière Jannik Sinner, c’est peut-être lui le meilleur de la planète.
Sans égard à la manière dont s’est déroulée cette partie, l’historique entre les deux joueurs ne ment pas. Pour être le meilleur, il faut battre le meilleur, a déjà dit un grand sage. Et c’est exactement ce qu’a fait Alcaraz, dimanche. Il l’a aussi fait en finale à Rome, récemment. En fait, il a battu Sinner 8 fois en 12 affrontements. Depuis deux ans, la fiche de l’Espagnol est parfaite contre l’Italien.
Alcaraz a un arsenal de coups que Sinner n’a pas. Il a une aisance à certains endroits sur le court que Sinner n’a pas. Il a aussi une manière plus efficace d’étouffer ses proies que celle de Sinner. Surtout lorsque les deux s’affrontent en finale.
Il y a eu du beau dans cette finale. Ce nouveau classique a régalé l’appétit des puristes qui défendent bec et ongles la valeur ajoutée de maintenir les matchs de cinq manches. Personne n’aurait voulu que ça se termine après seulement deux manches. Personne, sauf Jannik Sinner.
Auteur : Nicholas Richard
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