Victoria Mboko vue par l’entraîneur qui l’a formée
Victoria Mboko attend impatiemment son tour pour frapper des balles. Agitée et enjouée, la petite fille de 4 ans sautille sur le terrain avec sa raquette dans les mains pendant que Pierre Lamarche enseigne le tennis à sa grande sœur et à ses deux frères aînés.
La scène se déroule à Burlington, en Ontario, à l’académie de tennis de ce Montréalais.
En 2010, le désir de Victoria Mboko de performer et de gagner à tout prix saute déjà aux yeux.
Dans sa cour, Pierre Lamarche vient de découvrir le dernier joyau du tennis canadien grâce au vote de confiance d’une famille qu’il admire. Une association qui aura duré huit ans, jusqu’en 2017.
Il célébrera l’an prochain sa 50e année aux commandes de l’Académie Ace Tennis, là où Victoria Mboko a frappé ses premières balles avec autorité avant de terrifier ses adversaires grâce à son foudroyant service.
La récente et soudaine ascension de son ex-protégée, déjà championne de cinq tournois de l’ITF en 2025 à l’âge de 18 ans, lui a fait du bien.
Elle a un bon entourage, finalement
, dit-il à Radio-Canada Sports sur un ton empreint d’affection pour Vicky, comme il l’appelle.
Ses parents ont essayé toutes sortes de choses dans les cinq dernières années, raconte-t-il. Cette année, ils sont retournés avec Tennis Canada. Ça n’a pas fonctionné la première fois, mais voilà qu’on la jumelle à Nathalie Tauziat. On ne peut pas demander mieux qu’une ancienne championne de grand chelem pour veiller sur toi.
L’ancien capitaine de l’équipe canadienne de la Coupe Davis, aujourd’hui âgé de 78 ans, a consacré sa vie au tennis, surtout à la relève.
Pierre Lamarche avoue qu’il s’est un peu inquiété pour Victoria Mboko depuis son départ de son académie. Son groupe d’entraîneurs et lui ont adoré la guider en compagnie d’autres membres de la famille avant que le clan familial opte pour un apprentissage à l’étranger pour l’adolescente, prodige de sa génération.
Après sa défaite en finale à Parme et avant le tournoi de Roland-Garros, elle occupera le 121e rang à la WTA. Une progression de plus de 200 places en moins de six mois.
Elle a perdu deux ans en raison de blessures
, précise-t-il. Je pense même qu’elle devrait déjà être mieux classée pour plusieurs raisons.
Vicky est un char d’assaut. Elle frappe fort.
Un parcours familial inspirant
L’épopée des Mboko, une famille qui a fui le Congo pour s’installer au Canada après un court passage à Charlotte, en Caroline du Nord, a beaucoup inspiré Pierre Lamarche, qui a voulu leur tendre la main à leur arrivée au pays.
J’ai croisé sa mère dans un de mes clubs à Toronto. La sœur de Victoria avait beaucoup de potentiel et ses deux frères étaient aussi de niveau élevé. Je lui ai suggéré de déménager à Burlington au mois de septembre et qu’on allait prendre soin d’eux à notre académie
, dit-il.
L’opération pour permettre aux Mboko de gravir les échelons dans l’univers du tennis a été couronnée de succès.
J’ai un faible pour ceux qui viennent de l’étranger avec le désir de s’intégrer à notre société, lance-t-il. Les familles qui déménagent au Canada le font souvent pour leurs enfants. Ils sont venus pour qu’ils aient une meilleure vie qu’eux. Ils n’avaient rien au commencement.
J’ai tellement de respect pour eux. Le père travaillait la nuit, la mère, partout. Le Canada doit être fier de cette famille.
Le sérieux et la force de caractère des Mboko sont vite remontés à la surface. Les frères et la sœur de Victoria ont obtenu des bourses d’études à l’université grâce au tennis. La benjamine de la famille, elle, a bousculé l’ordre établi. Victoria n’est pas demeurée dans l’ombre de ses frères et de sa sœur bien longtemps.
Elle détestait ce sentiment de perdre, se souvient Pierre Lamarche. C’est ce qui la motivait encore plus à gagner. C’est même devenu un problème dans son développement parce que son énergie n’était pas la même à l’entraînement que durant un match. Pour elle, le tennis n’était pas une affaire tactique. C’était frapper une balle pour gagner et, surtout, de battre sa sœur.
Victoria Mboko était de toute évidence un bijou à polir dont le potentiel d’une carrière à l’international ne faisait aucun doute.
Victoria Mboko (en bas à gauche, deuxième rangée) entourée d’autres jeunes à ses débuts à l’Académie de tennis Ace, à Burlington, en Ontario.
Photo : Académie de tennis Ace
Le chemin était tracé
Dans un document détaillé sur les objectifs à long terme à la portée de Victoria Mboko écrit alors qu’elle n’était âgée que de 10 ans, Pierre Lamarche soutenait déjà qu’elle possédait l’étoffe pour atteindre le top 100 mondial à 18 ans et se classer parmi les 10 meilleures avant 22 ans, si elle suivait son programme d’entraînement. Ses déplacements constituaient la principale faille dans son jeu, le principal obstacle à la réalisation de ces objectifs.
Pierre Lamarche soulignait aussi que la présence parentale devait être bien dosée pour que l’athlète performe de manière optimale. La gérance est un art.
C’est une famille très solide. Ce sont des gens qui ne font pas confiance à n’importe qui. Ils ont beaucoup confiance en leur famille. Je n’ai pas été d’accord avec eux à propos de certaines décisions. J’ai eu quelques différends avec le père, mais ce n’est que sur le plan tennistique. C’est comme ça. C’est une très bonne famille
, indique-t-il.
Pierre Lamarche est un passionné et demeure actif dans le milieu pour la gestion d’écoles de tennis. Un monde où il est tentant de sauter les étapes.
Tout le monde est un expert en tennis. Chacun a son idée. Moi, j’invite les gens à regarder ceux qui ont de bons résultats. Les performances à court terme ne sont pas plus importantes que le développement du jeu dans son ensemble à long terme.
La pression des résultats immédiats est forte au tennis. La plupart du monde n’a pas de programme pour l’année.

Victoria Mboko au Championnat Banque Nationale de Granby
Photo : Sarah-Jäde Champagne / Tennis Canada
Victoria Mboko arrive aujourd’hui à un stade crucial de son développement.
Vicky s’est rendue à ce niveau en raison de ses atouts, soutient-il. Maintenant, ce qui est très important, d’ici ses 22 ans, c’est d’atteindre une maturité dans son jeu. Frapper des balles pour ouvrir le jeu plutôt que de juste frapper fort pour repousser l’adversaire. Apprendre à avoir un plan A, B et C.
On oublie vite, l’argent doit rentrer. Tout le monde doit avoir des résultats. Tennis Canada apporte une grande aide à Vicky. Elle doit avoir des résultats pour justifier le système. J’ai vu récemment qu’elle était accompagnée par un second entraîneur. Il y a un changement dans son jeu, surtout avec son coup droit.
L’ex-champion national canadien de 1974 est reconnu pour son franc-parler. Tout au long de l’entretien, on ressent toujours son affection pour la famille Mboko propulsée dans ce tourbillon pour mener à bien la carrière de Victoria.
Mais Pierre Lamarche tape sur le clou. À ses yeux, la gérance fait foi de tout.
Il y a une différence entre la gérance d’un joueur et le coaching d’un joueur. Tu peux trouver toutes sortes d’entraîneurs. Avoir ton coach pour la condition physique, pour l’aspect mental, la personne qui gère tes affaires, les parents.
Mais le plus important, c’est celui qui gère l’athlète. Il ne faut qu’une seule voix. Dans le cas de Vicky, les parents étaient très impliqués et le sont devenus de plus en plus. Ils sont très gentils, mais c’est devenu un peu dur parce qu’il faut suivre le plan. Et la jeune fille doit aussi écouter ses parents tout le temps.
Le jeu des comparaisons
D’autres jeunes joueuses canadiennes ont tracé la voie pour Victoria Mboko au fil des années.
À 20 ans, Eugenie Bouchard a connu la gloire lorsqu’elle a participé à la finale du tournoi de Wimbledon après avoir atteint les demi-finales aux Internationaux d’Australie et à Roland-Garros en 2014. Elle s’était alors hissée au 5e rang mondial. Elle n’a cependant jamais été en mesure de poursuivre sur sa lancée.
À 19 ans, Bianca Andreescu a gagné les Internationaux des États-Unis en 2019 et a grimpé jusqu’au 4e échelon mondial. Souvent à l’écart des courts en raison de blessures, elle occupe dorénavant la 102e place.
À 19 ans, Leylah Annie Fernandez a causé à son tour une surprise en 2021 en atteignant la finale des Internationaux des États-Unis, où elle a subi la défaite. Déjà classée 13e du monde, elle se positionne aujourd’hui 26e à la WTA.
Appelé à établir des comparaisons avec les meilleures joueuses canadiennes qui ont précédé Victoria Mboko, Pierre Lamarche n’hésite pas à l’inclure dans ce club sélect et trace un parallèle avec Fernandez, à qui la personnalité ressemble davantage à Mboko, bien que ces deux joueuses n’ont pas les mêmes attributs physiques. Mboko est plus costaude et mesure 1,78 m (5 pi 10 po), 10 centimètres de plus que Fernandez.
Elle est définitivement dans cette classe. Eugenie frappait avec beaucoup de confiance. Bianca peut tout faire, elle est fantastique. Vicky ressemble plus à Fernandez qu’aux deux autres, même si Leylah est limitée par ses atouts physiques et gagne parce qu’elle est très forte mentalement
, précise-t-il.
Vicky est très engagée. Je ne crois pas que le glamour va l’affecter ou qu’elle sera dérangée par les activités à l’extérieur du tennis. Elle va être très impliquée dans son développement. C’est ce genre de famille.
Pierre Lamarche voit donc en Mboko une jeune fille totalement dédiée à son sport.

Victoria Mboko pendant son match contre Coco Gauff
Photo : Reuters / Yves Herman
Récemment, au tournoi de Rome, elle a eu l’occasion d’affronter Coco Gauff, une gagnante d’un tournoi majeur d’à peine 21 ans qui peut lui servir de modèle. Un match que la Canadienne a perdu en trois manches.
Devant son téléviseur, à Burlington, Pierre Lamarche n’a pas raté ce rendez-vous. Avant la rencontre, il avait tenu à envoyer un message à son ancienne protégée. Un simple rappel du chemin parcouru depuis qu’elle se plaisait à agacer les entraîneurs de son académie parce qu’elle voulait toujours frapper des balles.
Je lui ai écrit d’apprécier l’expérience, que de jouer contre l’une des meilleures joueuses au monde à cet âge-là est une grande occasion, et surtout de ne rien donner. Elle a gagné la première manche, ce n’est pas rien!
L’été 2025 s’annonce palpitant pour Victoria Mboko et pour son entourage. Elle aura sans doute l’occasion de jouer à de grands tournois, notamment à l’Omnium Banque Nationale à Montréal. Pierre Lamarche préfère ne pas se prêter au jeu des prédictions, mais il éprouve une grande fierté à la voir s’illustrer ainsi en ce début de saison.
J’ai entraîné des joueurs avec beaucoup de potentiel. Je pense à Daniel Nestor. Vicky a vraiment quelque chose en elle pour devenir la meilleure joueuse au monde. Pour le devenir, il faut avoir les atouts et être spéciale. Je ne sais pas si sa puissance sera suffisante. Mais c’est certain qu’elle aura du succès parce que c’est difficile de jouer contre elle
, dit-il.
Victoria Mboko est peut-être aujourd’hui la figure de proue de l’académie dans laquelle Pierre Lamarche a investi beaucoup d’efforts durant toutes ces décennies, mais il tient à rappeler qu’il a pris un plaisir fou à entretenir la flamme du tennis chez tous les jeunes qui sont passés par ses écoles en poursuivant leur parcours scolaire.
La meilleure chose dans ma vie, c’est d’avoir eu trois enfants fantastiques et de voir mes jeunes de l’académie accomplir des choses, au tennis ou dans la vie, et d’avoir contribué à leur développement. J’avais trois principes très importants à respecter : être discipliné, prendre plaisir à jouer et remercier les gens autour pour la chance que vous avez. Vicky doit être reconnaissante pour ce que ses parents, ses frères et sa sœur ont fait pour elle. C’est incroyable ce qu’ils ont réussi sachant d’où ils sont partis au Congo
, conclut-il.
Et si vous la croisez au parc Jarry cet été pour venir l’encourager dans les alentours du Stade IGA, vous pouvez lui parler en français, la langue maternelle de ses parents…
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